Les confinements imposés et les restrictions de voyage imposés à travers le monde en raison de la pandémie ont constitué une occasion inédite d’analyser la manière dont les communautés utilisent les espaces publics lorsque les habitudes quotidiennes sont perturbées et que le trafic routier diminue. Entre fin mai et début juin 2020, Amend a mené des enquêtes afin d’évaluer l’impact de la COVID-19 sur la mobilité et la sécurité routière dans trois villes où nous opérons : Dar es Salaam (Tanzanie), Accra, (Ghana) et Maputo (Mozambique). Certaines des conclusions se sont révélées inattendues.
Nous avons interrogé par téléphone des habitants des zones urbaines et rurales, répartis en quatre groupes : conducteurs de voitures et de motos, instructeurs en sécurité routière, enseignants ainsi que parents et élèves.
Constats communs
À travers le monde, des communautés ont signalé que le confinement, associé à la fermeture des écoles et des entreprises, avait entraîné une baisse significative du nombre de véhicules sur les routes. Pourtant, cela ne s’est pas toujours traduit par une amélioration de la sécurité routière. Dans l’ensemble, les routes semblaient plus sûres pour la plupart des gens et les accidents moins nombreux. Toutefois, avec un trafic réduit (moins de voitures, de motos, de vélos, de piétons et de vendeurs au bord de la route), les villes et villages du monde entier ont enregistré une hausse des excès de vitesse et des comportements de conduite dangereuse. Les communautés africaines interrogées ont exprimé des préoccupations similaires.
Au fur et à mesure que les restrictions de confinement ont été levées, nous avons observé un retour progressif des populations dans les rues, mais avec des modes de déplacement différents. Par exemple, pour éviter les espaces clos pendant de longue période et minimiser les risques de contamination, de nombreuses personnes ont délaissé les transports en commun (bus et trains) au profit de la marche, du vélo ou de la voiture personnelle, lorsqu’elles en possèdent une. C’est à ce niveau que les résultats prennent des tournures uniques selon les régions africaines étudiées.
Nouveaux constats
Motos et boda bodas
Le transport à deux roues est populaire en Afrique, notamment les taxis-motos (motos / boda bodas) fréquemment utilisés par la population pour se déplacer. Au Ghana, l’utilisation des motos semble avoir chuté durant le confinement. Toutefois, en Tanzanie et au Mozambique, la tendance a été différente. Au fil des restrictions, de nombreux conducteurs de motos ont perdu des clients, mais ont continué à proposer des trajets, notamment en milieu rural, parfois à des tarifs réduits. Si les motos offrent l’avantage de limiter l’exposition dans un espace fermé, elles posent également un risque sanitaire de proximité, car les passagers sont assis très près des conducteurs. Selon certaines de nos enquêtes, la rareté des clients et la précarité financière ont poussé certains chauffeurs à accepter deux ou plusieurs passagers à la fois (« mishikaki »), augmentant ainsi les risques de transmission du virus.
Les attitudes face à la COVID-19 varient entre conducteurs et passagers, allant du déni total de son existence à l’application stricte des mesures de protection (port du masque, visière, usage de désinfectant pour les mains), bien que les approches en matière d’hygiène varient d’une région à l’autre. Dans certaines régions rurales de Tanzanie, nous avons constaté que certaines stations de boda boda proposaient des seaux d’eau pour le lavage des mains, mais dans la plupart des cas, les pratiques d’hygiène et l’utilisation d’équipements de protection individuelle sont restées similaires à celles d’avant la pandémie. Dans d’autres régions, nous avons constaté que la majorité des gens portaient des masques et se lavaient systématiquement les mains. Nous avons également noté que, dans de nombreuses zones rurales, le savon et les masques étaient fabriqués localement et que leur qualité n’était pas réglementée.
Certains conducteurs de moto ont même admis que, les affaires étant faibles, ils n’hésitaient pas à transporter des passagers, parfois malades, à l’hôpital.
La question des équipements de protection contre les virus se croise curieusement avec celle des équipements de sécurité routière. Un motocycliste nous a confié que de nombreux passagers refusent de porter un casque étant donné qu’il a été utilisé par de nombreuses autres personnes. Ceux qui acceptent de porter un casque le désinfectent généralement où se couvrent les cheveux avec un mouchoir avant de le porter. En Tanzanie, nous avons constaté une perte globale de la disponibilité des transports, les véhicules étant fréquemment arrêtés par la police de la circulation et les conseils municipaux, en raison du non-respect des restrictions et des mesures de sécurité. Dans d’autres régions, les passagers se sont plaints de la hausse des tarifs des transports, les chauffeurs étant contraints d’emprunter des itinéraires plus longs pour éviter les barrages routiers.
Piétons
Les parents, les enfants, les enseignants et les conducteurs ont fréquemment signalé une augmentation des excès de vitesse et des conduites imprudentes, une préoccupation qui s’est amplifiée lorsque les villes ont commencé à assouplir les restrictions de sécurité. Un intervenant a déclaré : « Il y a toujours des conduites imprudentes. Pendant le confinement, il y avait moins de voitures et moins d’activités en ville en raison des restrictions, mais maintenant, les activités reprennent progressivement et les gens sont pressés d’aller au travail ».
Une jeune personne a confirmé : « Les quelques fois où j’allais faire des courses, j’ai rencontré des difficultés pour traverser les rues car les voitures roulent trop vite. J’ai peur lorsque je me trouve au bord de la route ».
Alors que les infrastructures de sécurité routière – de la signalisation aux trottoirs – sont, depuis longtemps, insuffisantes dans nombre de ces communautés, la formation à la sécurité routière est donc essentielle. Un parent s’est inquiété de l’impact du confinement et des écoles fermées sur les enfants, les plus jeunes pourraient perdre leurs connaissances et leur pratique de la sécurité : « La conscience et la sensibilisation des enfants à la sécurité routière vont diminuer dans leur esprit puisque la plupart d’entre eux restent à la maison et ne se déplacent plus sur les routes comme ils le faisaient pour se rendre à l’école. En général, les enfants sont plus en sécurité maintenant ».
Nous n’avons pas constaté un effort des municipalités pour prendre des mesures significatives dans le but d’améliorer la sécurité routière pendant la pandémie, telles que l’amélioration ou l’extension des zones piétonnes ou cyclables, hormis quelques contrôles de police.
Recommandations
Un grand nombre de personnes interrogées dans tous les groupes – instructeurs de sécurité routière, enseignants, parents et élèves – ont ont appelé à un renforcement de la présence policière. Cependant, un nombre encore plus important a souligné l’importance de l’éducation pour tous les usagers de la route, qu’ils soient conducteurs, cyclistes ou piétons, jeunes ou adultes.
Par conséquent, Amend suggère que la police routière soit équipée de protections adéquates (masques, visières, gants) pour assurer sa sécurité et lui permettre d’exercer ses fonctions efficacement.
Nous suggérons également que la sensibilisation à la sécurité routière soit intégrée aux campagnes de sensibilisation sur la COVID-19 dans toutes les communautés.
Par exemple, dans la région d’Arusha en Tanzanie, l’organisation non gouvernementale Center for Women and Children Development (CWCD) a collaboré avec le conseil de district de la région d’Arumeru pour sensibiliser la population, dans sa langue locale, en encourageant les conducteurs de boda boda à continuer à utiliser des casques mais à les aérer entre deux trajets.
Enfin, à l’heure de la réouverture des écoles et de la reprise des activités au sein des communautés, il est impératif que les municipalités prennent en compte, dans l’aménagement de leur infrastructure, le nombre croissant de personnes qui se déplacent à pied ou à vélo plutôt qu’en bus ou en taxi pour se rendre à destination. La création de routes plus sûres pour les piétons et les cyclistes présente des avantages pour la santé et la sécurité à court et à long terme. Comme toujours, nous insistons sur le fait que, lorsque les routes sont sécurisées pour les enfants, elles le sont aussi pour l’ensemble de la communauté.


