L’Afrique possède le taux d’accidents de la route le plus élevé du monde. À mesure que le continent se développe et se motorise, ces taux augmentent.
Les routes sont la pierre angulaire du développement économique, et les gouvernements africains, soutenus par leurs partenaires de développement, investissent massivement dans l’expansion de leurs réseaux routiers. Personne ne remet en question l’idée de rendre les routes sûres : aucun gouvernement ni aucune institution de prêt ne souhaite que des personnes soient blessées ou tuées sur les routes qu’ils contribuent à construire. Pourtant, les nouvelles routes continuent de présenter de hauts risques. Il y a plusieurs raisons à cela, dont la plupart sont liées à l’histoire et aux habitudes de la population locale.
Dans cet article, nous présentons les raisons pour lesquelles les routes continuent d’être dangereuses et comment un partenariat entre Amend, la Fondation FIA, le gouvernement de la Tanzanie et la Banque mondiale réussit petit à petit à modifier le cours des choses. Ensemble, nous avons pu réaffecter près d’un million de dollars du budget d’un projet financé par la Banque mondiale pour rendre les routes plus sûres dans cinq villes de Tanzanie. Ces améliorations en matière de sécurité redessinent l’avenir de ces villes et de leurs habitants, et constituent une feuille de route, au sens propre comme au sens figuré, sur la manière dont des routes sûres pour tous peuvent être élaborées dans le monde entier.
Le processus implique de défaire des schémas et de rétablir des relations. Cela pourra vous sembler un peu dense au début, mais tenez bon. Vous comprendrez vite la manière dont la Fondation FIA a aidé Amend à démontrer comment notre recherche communautaire et nos solutions pratiques, abordables et durables sont réalisées, à grande échelle, afin de sauver des vies maintenant et dans le futur.
La dynamique actuelle
La Banque mondiale finance chaque année des milliards de dollars pour l’amélioration des routes en Afrique, et son cadre environnemental et social (ESF) fixe des normes pour éviter les impacts négatifs sur les communautés où les projets routiers sont développés. Cependant, sur le terrain, les mesures de sauvegarde de l’ESF ne sont pas toujours appliquées de manière adéquate. Lorsque les routes sont conçues et construites, elles ne protègent pas suffisamment les usagers vulnérables non motorisés (piétons, cyclistes et personnes handicapées, adultes et enfants) contre les accidents de la route, alors même que les usagers vulnérables constituent la grande majorité de la population sur les routes africaines.
Les défis à relever : trois éléments essentiels
Bien que les exigences en matière de sécurité routière sur les routes financées par la Banque mondiale aient augmenté ces dernières années, trois problèmes essentiels subsistent au niveau de la conception et de la construction : un manque de volonté politique locale, un manque de capacités techniques locales, et la capacité de la Banque et des gouvernements à obtenir les ressources nécessaires.
Volonté politique
La construction de routes est un aspect très politique. Les politiciens africains, au niveau local, régional ou national, utilisent les améliorations routières pour gagner des voix. Actuellement, ils mesurent leur succès par le nombre de kilomètres de route qui ont été construits pendant leur mandat. Ils ne parlent pas du niveau de sécurité ou du nombre de personnes qui ont été tuées ou blessées sur ces routes.
Les équipes de la Banque mondiale doivent constamment trouver un équilibre entre les politiques, les délais, les budgets et les mesures de protection. Elles ne peuvent faire pression pour atteindre leurs garanties que dans la mesure où les politiques locales – et les délais et budgets du projet – le permettent, de peur que le projet n’échoue. Si l’on veut construire des routes sûres, il faut que la demande vienne des politiciens.
Capacités locales
La Banque mondiale finance généralement les routes par le biais de prêts aux gouvernements. Les projets routiers sont gérés par les agences routières gouvernementales, qui font appel à des consultants et à des entrepreneurs pour réaliser les travaux. Le respect des normes de sécurité par les projets dépend fortement de la capacité de ces agences routières ainsi que de leurs consultants et entrepreneurs.
Les moyens de réduire le risque d’accident de la route sont bien connus. Pourtant, ces mesures ne sont toujours pas incluses efficacement dans la plupart des nouvelles conceptions de routes en Afrique. La plupart des ingénieurs routiers formés en Afrique ont appris à concevoir des routes en tenant compte d’un seul type d’usager monomodal : l’automobiliste, généralement enfermé dans sa bulle climatisée. Or, la grande majorité des usagers de la route est multimodale : piétons, minibus publics, motos-taxis et cyclistes. Cette majorité est rarement prise en compte dans le développement des infrastructures routières, ce qui fait courir de grands risques à ces usagers, notamment aux piétons.
En outre, les processus de financement, de conception et de construction des routes sont profondément ancrés dans les méthodes de travail des gouvernements et souffrent d’une certaine rigidité. Les fonctionnaires des agences routières et leurs consultants mettent en œuvre un projet en suivant les mêmes procédures que pour le projet précédent, et celui d’avant. Même si les fonctionnaires tentent de promouvoir une approche différente – centrée sur les personnes -, ils se heurtent souvent à la résistance des consultants. Les agences routières et leurs consultants ont besoin de soutien pour modifier leurs méthodes de travail.
La création de routes sûres implique de consulter les communautés locales pour comprendre comment elles interagissent et utilisent les routes, puis de concevoir des améliorations routières en tenant compte de ces critères. Cela implique de changer la philosophie des ingénieurs, des agences routières et des politiciens, afin qu’ils ne conçoivent plus des routes pour les véhicules, mais pour les personnes.
Ressources
Comme nous l’avons indiqué, la Banque mondiale et certains gouvernements africains sont de plus en plus conscients des conséquences du manque de prise en compte des communautés dans la conception des routes, et ils sont désireux de remédier à ces lacunes. Toutefois, il peut être difficile d’obtenir l’aide nécessaire pour bien faire les choses.
Les règles de passation des marchés publics – qui sont généralement rigides et prennent énormément de temps – peuvent entraver les progrès. Souvent, les contrats gouvernementaux ne sont pas attrayants pour les spécialistes.
De même, les processus de passation de marchés de la Banque mondiale sont principalement conçus pour acquérir des consultants internationaux individuels. Ces processus ne sont pas conçus pour acquérir des spécialistes sur le terrain avec des équipes de professionnels locaux qui pourraient plus efficacement rassembler et étudier les informations locales.
Améliorations potentielles : les voies à suivre
Amend travaille dans les communautés pour comprendre exactement comment les habitants utilisent leurs routes. Nous évaluons les zones physiques, interrogeons la population locale, recueillons des données et recommandons les améliorations les plus efficaces relatives à la conception des routes. Nous nous concentrons en particulier sur les zones à proximité des écoles. En effet, nous savons que des routes sûres pour les enfants le sont pour tout le monde. Les entretiens avec la population locale fournissent des informations particulièrement significatives qui sont généralement absentes de la planification routière standard. Les habitants des communautés ont besoin et veulent des routes sûres.
Amend a reçu le soutien et les encouragements des représentants du siège de la Banque mondiale à Washington, ainsi que du personnel de la Banque basé dans les bureaux nationaux, pour son travail sur la sécurité routière au niveau communautaire. Nous avons travaillé sur de nombreux projets de la Banque en Tanzanie, et une planification est en cours au Mozambique. Dans ces deux pays, le personnel de la Banque est désireux d’obtenir de l’aide pour satisfaire aux exigences de l’ESF en matière de sécurité routière.
De manière générale, les routes et les projets financés par la Banque mondiale qui peuvent bénéficier d’une ingénierie de la sécurité routière centrée sur la communauté peuvent être répartis en trois catégories :
- Les projets routiers globaux qui amélioreront plusieurs routes sur un certain nombre d’années, et qui peuvent bénéficier d’une ingénierie de la sécurité routière centrée sur la communauté par le biais d’un engagement significatif de la communauté et d’une conception pour les usagers vulnérables
- Les routes individuelles qui sont incluses dans les projets en cours financés par la Banque et qui peuvent bénéficier de l’intégration de la sécurité dans la conception
- Les routes déjà construites, mais où le risque de sécurité routière reste élevé, et qui peuvent bénéficier d’une mise à niveau.
Bien qu’il soit clairement préférable de construire des routes sûres dès le départ, les routes déjà construites qui restent dangereuses peuvent être réaménagées pour améliorer la sécurité.
Exemple : Projet stratégique des villes de Tanzanie
Le Projet stratégique des villes de Tanzanie (en anglais, Tanzania Strategic Cities Project ou TSCP) est un projet de 175 millions de dollars financé par la Banque mondiale qui a débuté en 2010 et devrait s’achever cette année, en 2020. Les villes bénéficiaires de ce projet sont Arusha, Dodoma, Ilemela, Kigoma, Mbeya, Mtwara, Mwanza et Tanga. L’objectif du TSCP est d’aider les villes à suivre l’urbanisation rapide de la Tanzanie, en améliorant la qualité des services urbains de base ainsi que l’accès des communautés à ces services. Il couvre également divers aspects du développement urbain, notamment les routes, les voies piétonnes et l’éclairage public.
La construction de nouvelles routes est un élément clé du TSCP, et la planification et le processus initiaux du projet ont été entravés par les défis que nous décrivons ci-dessus. Amend devait trouver un moyen d’intervenir.
Il y a, bien sûr, de nombreuses écoles à proximité des nouvelles routes du TSCP – le projet touche donc de nombreux enfants. Grâce à nos liens avec le bureau de la Banque mondiale en Tanzanie, nous avons contacté l’équipe de projet du TSCP et proposé de réaliser des évaluations concernant la sécurité routière sur les conceptions préliminaires et de faire des recommandations pour améliorer la sécurité des enfants.
La Fondation FIA a pris en charge nos frais pendant la réalisation des évaluations communautaires. Grâce à cela, nous avons pu faire notre travail et nous assurer que nos recommandations en matière de sécurité des enfants seraient incluses dans le projet final du TSCP.
La Banque mondiale a facilité les présentations, et nous avons mis en place une équipe de trois personnes et une méthode en trois phases : étude documentaire, visites sur le terrain et recommandations. Nous avons mené ce processus dans cinq villes du TSCP : Arusha, Dodoma, Ilemela, Mwanza et Tanga.
Les résultats
Les conceptions initiales des routes du TSCP ne comprenaient aucune disposition de sécurité routière spécifiquement conçue pour les enfants et les zones scolaires. Suite à nos visites et études sur le terrain, Amend a formulé des recommandations solides pour assurer la sécurité des écoliers, sur la base des informations que nous avons recueillies. Nous avons rencontré les ingénieurs du gouvernement local, les ingénieurs concepteurs et les entrepreneurs, et discuté sérieusement avec eux afin de garantir un accord total avec nos propositions finales.
Les améliorations de conception que nous avons recommandées comprenaient des infrastructures dont l’efficacité a été prouvée et qui réduisent les blessures, telles que des ralentisseurs, des chemins piétonniers, des panneaux de signalisation et d’autres mesures qui séparent les enfants de la circulation et ralentissent les vitesses là où les enfants et les véhicules interagissent.
Les améliorations de conception que nous avons proposées couvraient 14 zones scolaires, comprenant 31 écoles et une population de 31 450 élèves dans cinq villes. La Banque mondiale, les parties prenantes gouvernementales et les consultants en conception ont compris l’importance cruciale de nos améliorations.
Le dénouement
La majorité des mesures que nous avons proposées ont été mises en œuvre. Environ 800 000 dollars sur le budget de 175 millions de dollars du TSCP ont été réaffectés à l’exécution de nos recommandations en matière d’infrastructures sûres dans le projet final. Le soutien de la Fondation FIA a permis à Amend de faire son travail et de montrer exactement pourquoi et comment le financement d’une infrastructure sûre était nécessaire pour sauver des vies.
Les perspectives d’avenir
La demande des gouvernements, des populations locales et des institutions de prêt pour des routes sûres dans les communautés à travers l’Afrique est en augmentation. Chaque fois que nous frappons à la porte d’un bureau de la Banque mondiale ou d’une institution gouvernementale en Afrique, nous constatons que les gens sont impatients de recevoir notre aide pour sécuriser les routes, car ils se rendent compte que l’approche historique et habituelle de la construction des routes entraîne des morts et des souffrances inutiles. Cependant, ils n’ont pas la capacité – formations spécialisées et expérience – de progresser et d’apporter les changements nécessaires.
Amend entend fournir ces capacités dès maintenant pour s’assurer que le plus grand nombre possible de projets financés par la Banque mondiale tiennent compte des usagers vulnérables de la route. Il existe énormément de possibilités d’intégrer des mesures d’infrastructure éprouvées dans les projets de la Banque mondiale, à court terme et à grande échelle. Les études et les recommandations d’Amend peuvent être mises à l’échelle, pour s’adapter à des zones plus spécifiques rapidement et sauver des vies.
Parallèlement, à plus long terme, notre objectif est de changer les attentes face au développement des projets routiers en Afrique et de renforcer les capacités au sein et en dehors du gouvernement afin qu’un jour, toutes les routes du continent soient conçues et construites pour assurer la sécurité de tous les usagers de la route, comme une évidence, et que personne ne puisse imaginer qu’il en ait été autrement. Grâce à nos partenariats et à la ténacité des personnes impliquées, nous sommes sur la bonne voie.
Pour en savoir plus sur les routes dangereuses d’Afrique et les solutions, consultez Un grand pas en avant, un rapport rédigé par Amend, la Fondation FIA et l’Initiative pour la Santé de l’Enfant.






